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Lorsque les starts-up reviennent à Detroit

« Ici, nous espérons que tout le monde puisse commencer n’importe quoi, à n’importe quel moment, pour n’importe quelle raison ». Josh McManus est un grand enthousiaste. Comme pas mal de nouveaux acteurs économiques de Détroit, le CEO de l’accélérateur de start-up Rock Ventures n’a que le mot « opportunité » à la bouche. En mai dernier, le cœur du centre-ville foisonnant de Motor City a accueilli le Quicken Loans Demo Day.

Une journée lors de laquelle n’importe quelle entreprise pouvait venir se présenter et espérer être élue parmi les plus innovantes. À la fin de la journée, en collaboration avec le géant du coworking WeWork, qui offrait aux heureux gagnants 1,5 million de dollars, la société de crédit Quicken Loans, quant à elle, répartissait 1 millions de dollars entre les huit « meilleures » start-up. Les lauréats bénéficient également d’un prêt sans intérêt pendant cinq ans. Le coup de pouce idéal pour entrer dans le cercle des entreprises les plus innovantes du moment.

C’est le cas, par exemple, de StockX, fondée en 2015, premier site au monde de vente en ligne de sneakers. StockX met en lien acheteurs et vendeurs en utilisant la même méthodologie que le cours de la bourse. L’entreprise authentifie directement le produit, joue sur la transparence des prix, la qualité et la confiance en suivant la cote de chaque produit. « Nous avons commencé avec les sneakers parce que c’est un marché qui génère 1,3 milliard de dollars, mais c’est aussi un milieu qui connait la fraude. Et nous évitons cela », explique Greg Schwartz, CEO et co-fondateur de l’entreprise, tout en pointant sur son smartphone une paire de chaussures à plus de 1000 dollars, le cours du moment.

Conversion numérique

L’autre start-up symbole de cette révolution économique, c’est Rocket Fiber. Dans les locaux flambant neufs de l’entreprise, l’ambiance se veut avant tout jeune et décontractée.

Salle de travail à Rocket Fiber, la compagnie basée à Détroit et fondée en 2014

Sur le même modèle que Google Fiber, un projet de construction d’une infrastructure de réseau Internet utilisant la fibre optique, testée à Kansas City en 2012 , l’entreprise a développé l’Internet le plus rapide au monde en investissant trente millions de dollars. Elle cherche à faire bénéficier de ce nouveau service, cent fois plus rapide que la normale, les résidences et les entreprises du quartier. Pour prendre un exemple plus concret, avec Rocket Fiber, un fichier de 5 GB se télécharge en 41 secondes seulement, contre 21 minutes et 42 secondes pour une connexion traditionnelle.

 « La technologie offre la promesse de revivre. Et plutôt que d’être une seconde Silicon Valley, nous cherchons à créer une communauté »

Pour couronner le tout, Grand Circus, en partenariat avec Google (entre autres) a mis en place un stage éducatif intensif de dix semaines auprès d’entreprises de la tech pour apprendre à coder. « La technologie offre la promesse de revivre. Et plutôt que d’être une seconde Silicon Valley, nous cherchons à créer une communauté », argumente Damien Rocchi, le fondateur de Grand Circus. Ces différents acteurs cherchent en tout cas à fonder une sorte de village high-tech, un ilot hyperconnecté en plein Detroit.

Depuis quelques mois, la conversion techno-digitale de Motor City est passée à la vitesse supérieure. Les plus grandes entreprises (Amazon, Microsoft, WeWork, Pinterest, Twitter, Uber, Snapchat, etc.) y ont ouvert des bureaux. Les start-up locales, dont le nombre a connu une croissance de 50% au cours des trois dernières années, travaillent pour la plupart (43% d’entre elles) dans les technologies de l’information.

Enfin, 35 des start-up les plus actives de l’État du Michigan se trouvent à Détroit, et 6 des plus influentes (Detroit Venture Partners, Fontinalis Partners, General Motors Ventures, Invest Detroit Ventures, Invest Michigan et Ludlow Ventures) gèrent à elles seules 295 millions de dollars de capitaux combinés.

De la Silicon Valley à la Rust Belt

Si la vague entrepreneuriale prend aussi bien à Détroit, c’est que la ville a le potentiel pour. Des anciens de la Silicon Valley l’ont bien compris, au point de faire le chemin jusqu’à la Rust Belt pour participer à cette aventure. C’est le cas de Ted Serbinski, le PDG de Techstars, un accélérateur de start-up de la ville. « Dans dix ans, l’agglomération sera de nouveau flamboyante et attractive. Je suis venu ici pour être un des nouveaux pères fondateurs et Détroit est un terrain de jeu parfait pour cela. Le coût de la vie y est 27,1% moins élevé que la moyenne nationale. Et vous pouvez embaucher un ingénieur pour 60 000 dollars par an alors que sur la côte ouest, il faut compter 120 000 dollars. » 

 « Cette zone recouvre huit des meilleures écoles d’entreprenariat du pays, six des meilleures écoles d’ingénieurs et 15 % des plus grandes fortunes américaines »

Ted Serbinski explique que la conurbation en forme de pentagone, qui s’étend de Chicago à Detroit passant par Cleveland, Pittsburg, Columbus et Cincinnati, est bien plus puissante que l’État de Californie : « C’est le diamant du Midwest ». Ces villes sont des pôles industriels majeurs qui, bien qu’étant de taille moyenne, ont un réel impact à l’heure actuelle sur l’économie du pays. Pour lui, c’est l’intersection entre de nombreux étudiants talentueux et des business en plein développement. « Cette zone recouvre huit des meilleures écoles d’entreprenariat du pays, six des meilleures écoles d’ingénieurs et 15 % des plus grandes fortunes américaines. » Bref, Détroit présente tous les ingrédients pour devenir « le » nouveau hub de l’innovation. Le compte à rebours est enclenché, et la ville est prête à devenir une marque, un produit à commercialiser.

 Un pionnier nommé Dan Gilbert

Si l’attractivité de Détroit a grimpé si vite en flèche, c’est en grande partie grâce à l’œuvre d’un homme. Il y a cinq ans, le milliardaire Dan Gilbert, 120ème fortune mondiale selon Forbes, rachetait tour à tour 90 bâtiments abandonnés de la ville. Tout a commencé en 1985 avec 5000 dollars économisés alors qu’il était livreur de pizzas pour fonder sa société de crédit, Quicken Loans.

Aujourd’hui, il a à son actif deux autres entreprises, Bedrock et Rock Ventures. Sans compter les différentes équipes sportives dont il est propriétaire. Il a déjà racheté le terrain de l’ancien Hudson’s, le plus grand centre commercial des années 1960, pour y construire la plus haute tour de la ville.

Et à chaque nouvelle acquisition, il s’amuse à éclairer, sur sa maquette de Détroit, qui trône dans son bureau, le nouvel édifice en question, tel un enfant présentant sa collection de petites voitures.

Le métro traverse la ville de Detroit. Crédit : QL

En juin 2017, Dan Gilbert a inauguré le Q-Line, le nouveau tramway dans lequel il a investi. Un projet qui ne fait pas l’unanimité. Pour pas mal de detroiters, c’est même une aberration, le symbole de l’inéluctable gentrification de leur ville. Très lent, le Q-Line ne rejoint, en ligne droite, que le centre-ville, à Midtown. « C’est exactement le reflet de ce qui est en train de se passer ici : ils fabriquent leur petite ville dans la ville. Ce moyen de transport sert seulement à ramener les businessmen à leur résidence, le soir, après le travail », regrette Matthew Naimi, le fondateur d’une entreprise à but non lucratif de recyclage, Recycle Here.

Et l’innovation sociale ?

Détroit peut-elle vraiment marcher sur les traces de la Silicon Valley ? Dans une agglomération qui a connu la désindustrialisation, la désertification et les émeutes raciales, la culture entrepreneuriale devrait, en toute logique, se mettre au service de l’innovation sociale. Or quand on passe du temps à rencontrer les acteurs de la tech locale, on a plutôt l’impression que cette innovation sociale se passe ailleurs, dans des cercles plus alternatifs ou via des organismes qui prennent en compte les difficultés rencontrées par les habitants.

« Le capitalisme est un modèle économique, ça n’est pas une façon de vivre »

Pour Matthew Naimi, parler de Détroit comme de la prochaine Silicon Valley n’est pas totalement dénué de sens, à condition changer de culture entrepreneuriale, voire de système économique tout court : « C’est l’avenir de toutes ces anciennes villes industrielles que de devenir de nouveaux pôles attractifs. Après, tout arrive très vite : si Rome est tombée en 500 ans, les États-Unis peuvent tomber en 100 ans… Le capitalisme est un modèle économique, ça n’est pas une façon de vivre. Élire des businessmen et penser qu’on peut gouverner notre quotidien comme on dirige un business n’est pas la solution. »

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